Stephan Vanfleteren : Fishermen, 2003, Ostende - Belgique

 
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Fishermen de Stephan Vanfleteren, série de portraits réalisée en 2003, est certainement le plus bel hommage aux hommes de la mer qu’il m’ait été donné de voir. Plus encore, et c’est ce qui me bouleversera toujours dans le travail de Vanfleteren, c’est son inclination à aller photographier les êtres au plus proche de leur chair comme pour, et par elle, révéler leur histoire et leur âme. Stephan Vanfleteren est le photographe dont les portraits m’impressionnent immanquablement, et ce quelles que soient les personnes photographiées ou autant de fois que je les regarde, j’y ressens toujours une profonde émotion autant que je me sens happée par les visages de ces hommes et de ces femmes, leurs expressions, leurs regards.

C’est peut-être et en partie le noir & blanc tel qu’il est traité par le photographe qui créé cette intensité dans les portraits qu’il réalise. A ce sujet, son choix de film n’est pas anodin. Il travaille régulièrement avec une pellicule Kodak T-Max 400 connue tant pour la profondeur de ses contrastes et de ses noirs profonds, que pour la richesse de sa gamme de gris. C‘est aussi la finesse de son grain, restituant avec une admirable netteté les moindres détails de l’image, qui fait de ce film un medium particulièrement apprécié des photographes qui œuvrent encore en argentique. Enfin il faut saluer la maîtrise du moyen format et de l’illustre Rolleiflex SL66 par Stephan Vanfleteren, avec lesquels il donne à ses portraits une dimension qui ne peut laisser indifférent.

Il y a quelque chose de radical dans ce portrait de pêcheur comme dans la majorité des portraits de Vanfleteren. Et ce n’est pas uniquement le fait du noir & blanc si particulier au photographe qui par ailleurs participe à la signature de l’artiste. Car une fois que l’on a vu ses noir & blanc, on les reconnait ensuite entre mille. La profondeur de champ propre au travail de Stephan Vanfleteren est aussi une dominante de sa photographie. On la reconnait dans le modelé qu’il donne à ses images par la différence de traitement des plans. Ainsi ceux qui se trouvent en avant comme le nez, et en arrière telles les mâchoires et les oreilles, partiront dans les flous, tandis que le plan médian au niveau de la peau et des yeux sera toujours d’une incroyable netteté, d’un piqué soulignant chaque relief du visage jusque dans ses plus infimes détails. En révélant ce visage de pêcheur avec une telle proximité et une telle précision, la photographie se fait incarnation, de l’homme, de son être et son histoire pleinement inscrite dans sa peau. On sent alors l’iode, les brises et les tempêtes, les marées et les roulis, la puissance des éléments qui ont tour à tour caressé ou frappé ce visage le temps d’une vie passée sur la mer du Nord, à en récolter ses fruits. On devine des jours éprouvants et le labeur du pêcheur, peut-être le tabac et l’alcool qui réchauffent aussi, mais surtout on lit toute la dignité de l’homme qui nous fait face. Et puis ce cadrage définitivement frontal, serré, sans concession, sans artifice, ne laisse de place qu’au visage qui se grave ici, comme profondément encré dans le papier. Stephan Vanfleteren va à l’essentiel dans la composition de son portrait, et place les yeux quasiment au centre de l’image, comme une ligne d’horizon, nous faisant inévitablement plonger dans ce regard, intense, qui semble dirigé vers nous. On se retrouve ainsi pris dans un face à face auquel il est difficile d’échapper. Un face à face tel que l’a voulu et vécu le photographe avant nous, au moment de la prise de vue, car les deux qui se regardent ici, sont au commencement, le photographe et son modèle.

Le regard, c’est bien là que réside l’essence de la photographie dans l’œuvre de Stephan Vanfleteren. Quel prodigieux tour de passe-passe que celui qu’opère le photographe à nous laisser croire que nous sommes l’objet du regard de ce pêcheur comme de la majorité des hommes et des femmes qu’il a photographiés. Car pour que nous ayons le sentiment d’être regardés par les personnages de ses photographies, tel ce pêcheur, c’est avant toute chose le photographe qui en leur portant son propre regard les invite à le fixer lui, face caméra. Et le regard de Stephan Vanfleteren est celui d’un homme honnête face à d’honnêtes gens. Honnête car franc, pur, et teinté d’une sensibilité exceptionnelle tant il sait trouver la singularité dans le quotidien. Il prend la mesure de la vie, de l’usure qu’elle exerce sur les êtres, il décèle la solitude qui n’est jamais bien loin autant que la chaleur humaine qui lui tient à cœur, et il nous en délivre des portraits graves dans lesquels pourtant se dévoile une ineffable tendresse.

Ce que photographie Stephan Vanfleteren c’est l’existence, et souvent celle de ceux qu’on ne regarde pas. Même s’il est vrai que le photographe à souvent produit de superbes clichés d’artistes, écrivains, musiciens, comédiens, il revient toujours aux anonymes, à « ces gens-là », mais pas à la façon de son compatriote Jacques Brel. Il dit d’ailleurs à ce sujet : « Dans son œuvre, Brel dénonçait la bourgeoisie. Je regarde le monde sans condamner personne et, avec mes photos, j’essaie tout simplement de préserver un certain nombre de choses. […] Je veux montrer les gens invisibles dont on ne parle jamais ». Stephan Vanfleteren a grandi sur la côte belge, de son enfance, il a gardé son amour et sa fascination pour la vie des pêcheurs. Pourtant on ne voit pas toujours ces hommes, ou on ne leur accorde pas tant d’attention et, la flotte de pêche belge diminue dramatiquement d’année en année. En 1950 le pays comptait 457 bateaux, puis 208 en 1980 et en 2014 il ne restait plus que 80 navires à partir en mer. Lorsqu’en 2003 Stephan Vanfleteren photographie les pêcheurs d’Ostende, il tente peut-être à sa façon de préserver ce qu’il reste du métier et de l’existence de ces hommes, du moins il témoigne d’eux, un peu comme s’ils étaient les derniers héros de la mer. Avec ce portrait en grand format d’un pêcheur qui regarde droit devant, Stephan Vanfleteren fait de son art un acte romantique, en nous confrontant à l’homme, en nous emmenant dans sa réalité, comme on jetterait une bouteille à la mer. On dit de Vanfleteren qu’il photographie les hommes et la fuite du temps, il répond : « Je suis plus qu'un passager du passé. Les gens me demandent parfois si je regarde trop en arrière. Bien sûr, je regarde en arrière, mais je regarde aussi en avant, à gauche, à droite, de haut en bas. Loin et proche. Et pour la première fois, je regarde aussi vraiment à l’intérieur. »

Fishermen par Stephan Vanfleteren : https://www.stephanvanfleteren.com/fishermen

Stephan Vanfleteren : https://www.stephanvanfleteren.com

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