En finir avec le syndrome de l’imposteur

 
 

Soyons honnêtes, nombreux sont les photographes qui travaillent aujourd’hui sans avoir de formation formelle en photographie, mais l’accès à l’information dont nous bénéficions depuis près de 10 ans est sans commune mesure avec ce qui a existé précédemment, et la plupart des personnes qui complexent aujourd'hui en savent plus sur les différents aspects de la photographie que les pros d’il y a à peine 50 ans.

Et pourtant, cette absence de formation contribue à délégitimer beaucoup de photographes qui mériteraient d’avoir une bien meilleure estime d’eux-même et de leur travail. Entendons nous bien, je ne parle pas ici des influenceurs qui font passer un faible bagage technique pour une quelconque compétence. Je parle de ceux qui font de la photo pour la joie de créer une image, tout en continuant de se former et d'explorer les moyens d’exprimer ce qu’ils voient et ressentent à leur manière, sans forcément singer une technique plus ou moins connue.

Car il y a deux clefs pour vaincre le syndrome de l’imposteur: Comprendre où on se situe par rapport au reste du monde, et comprendre que la photographie n’est pas une destination, mais un chemin qui n’a pas réellement de fin.

Le monde a été construit par des gens qui n’étaient pas meilleurs que nous.
— Steve Jobs

La première étape est de comprendre où on se situe par rapport au reste du monde.

Historiquement déjà, il est important de réaliser que nous avons accès, en une courte recherche sur Internet, à plus de conseils pertinents et d’informations sur la technique photographique que la plupart des grands photographes du siècle dernier n’en ont eu au cours de leur formation complète. Si vous aviez appris la photographie dans les années 70, vous auriez appris les bases techniques dans le mode d’emploi de l’appareil en quelques pages, et vous auriez du découvrir les mystères de la composition et de la construction d’une image par vous mêmes, en gardant en plus à l’esprit le long délai entre la prise de vue et le développement proprement dit de l’image à l'époque de l’argentique. On est loin des écrans qui nous permettent de visionner instantanément la photo que nous venons de prendre, voire de la partager dans les secondes qui suivent.

De même, l’appareil photo le plus bas de gamme aujourd'hui ferait rêver un Ansel Adams qui transportait une chambre de plusieurs kilos et exposait des plaques aux ISOs ridicules en comparaison de ce qu’on est capable d’atteindre maintenant. La technique photographique s’est démocratisée à tel point qu’un enfant des années 2020 est certainement plus susceptible de créer une belle image qu’un amateur éclairé du siècle dernier.

Si nous cessons de revenir au passé, il suffit de lire toutes ces instructions et de les mettre en pratique un minimum pour être, instantanément, dans les 10% du monde les plus compétents sur le sujet. La route vers les 5% est aussi courte, et seul le dernier 1% est réellement difficile d’accès pour le commun des mortels, si tant est qu’il ait un intérêt pour le commun des mortels, justement. D’un point de vue statistique, il faut peu de choses pour être relativement compétent dans un domaine à l’heure d’Internet, ce qui en soi cause un certain nombre de soucis vu le nombre "d’experts” en tout et n’importe quoi qui nous inondent de leurs avis, et d’influenceurs qui se contentent de vendre une connaissance superficielle bien emballée. Cependant, cette connaissance quelle qu’elle soit n’en reste pas moins vraie et, mise entre les bonnes mains, peut s’avérer être aussi une des clefs vers une évolution dans le bon sens. Car la vie n’est qu’une succession de statistiques, et en prenant bout à bout des décisions qui maximisent nos chances d’obtenir un bon résultat, on y arrive plutôt facilement (du moins tant qu’un algorithme ne vient pas nous compliquer intentionnellement la tâche pour nous pousser à maximiser nos chances en payant de la publicité, ce qui est une exploitation commerciale des statistiques en fait…).

La seconde étape est de comprendre que les raccourcis n’existent pas, et qu’apprendre la photographie est le projet d’une vie.

Déjà parce que contrairement à ce que l’on pourrait croire en suivant les modes lancées par les réseaux sociaux, il n’y a pas une bonne ou une mauvaise manière de faire de la photo, c’est un simple moyen de s’exprimer et nous avons tous un message différent et une manière différente de le faire passer. Que la photographie professionnelle obéisse à certains codes est inévitable, mais même dans ce cadre restreint, il existe suffisamment de marge pour donner à chacun la possibilité d’exprimer son coté singulier et de trouver son public.

Ensuite parce qu’une photographie dépend aussi de qui la regarde, et qu’il est fréquemment arrivé qu’un travail soit reconnu tard dans la vie d’un photographe, il suffit de prendre en exemple Saul Leiter ou Vivian Maier pour s’en rendre compte. Certains ont le talent de savoir se vendre rapidement et efficacement, d’autres ont besoin de temps pour se construire et l’histoire ne leur en tient pas rigueur.

La photographie est un art et comme tous les arts, elle n’a pas à se plier à des règles trop rigides. La priorité est de s’exprimer sans trop se demander ce que les gens vont penser, de garder à l’esprit qu’on ne peut pas plaire à tout le monde, et d’être fier de son travail. Et de ne pas oublier que ce qu’on perçoit comme de la perfection, c’est à dire ce qui va convenir à tout le monde, est en général fade à mourir.

Comparison is the thief of joy (La comparaison tue la joie)
— Theodore Roosevelt

Un autre des défauts des réseaux sociaux est de montrer une image très partielle des succès des uns et des autres. Déjà parce qu’on ne voit que ce que les autres veulent bien nous montrer, à savoir un résultat qui ne laisse que rarement transparaitre les efforts qu’il a nécessité, ensuite parce que ce résultat est souvent un mensonge, au moins par omission. Comment nous vendre des raccourcis en admettant qu’on a soi-même du travailler dur pour obtenir un résultat?

Au contraire, il faut aujourd'hui être très performant, très vite, avec l’idée dans un coin de son esprit que tout le monde regarde, guette, épie. J’avais, dans un épisode du podcast avec Malo, une discussion sur le fait d’avoir grandi dans les années 80 où on avait le temps de consacrer toute son attention pendant un long moment à ce qui nous intéressait. A l'époque, on n’avait pas besoin de prouver immédiatement sa maîtrise, voire de la prouver tout court. Mais surtout, on pouvait prendre son temps pour se consacrer à un sujet car les sujets étaient infiniment moins nombreux, et surtout ne se chevauchaient pas les uns les autres en permanence en s’interrompant sans arrêt. Et, signe des temps, il n'était pas nécessaire d'avoir un avis arrêté sur tout, on n'était pas jugé immédiatement et sans recours sur cet avis ou son absence, et on pouvait discuter avec les gens qui avaient un avis différent sans risquer de froisser quelqu’un à chaque phrase. On pouvait s’exprimer librement. Et on n’avait, en retour, pas de crainte d’être jugé hâtivement par quelqu’un confortablement caché derrière un écran, qui n’a lui même rien prouvé d’autre que de sa capacité à critiquer ceux qui font, qui agissent, produisent, créent.

La photographie, comme beaucoup de formes d’art, prend du temps pour pouvoir être appréciée à sa juste valeur. Il est difficile de juger la valeur d’une image en temps réel, parce que seul le temps est capable de trier ce qui mérite de rentrer dans l’histoire, et même si au gré du temps le débat fait régulièrement rage entre ceux qui pensent que l’artiste fait la photo et ceux qui estiment que le sujet est présent et que l’artiste n’est là que pour le capturer mécaniquement, il n’en reste pas moins que c’est plus souvent l’image que les paramètres de sa réalisation qui reste dans l’histoire. Dès lors, faire une photo pour faire une photo ne devrait déjà plus présenter grand intérêt, et la seule question à se poser serait “pourquoi fais-je cette photo?”. Donc, plutôt que de juger le nombre de likes qu’elle est capable d’obtenir sur les deux jours de durée de vie qu’elle aura sur Instagram, il vaut peut-être mieux observer l’impact qu’elle aura sur les gens qui la regardent, et prendre le temps de la regarder vivre loin de notre contrôle, sur le temps long. Il sera toujours temps de la revoir dans quelques années, si elle est encore là c’est déjà bon signe.

Au delà d’être meilleur, vous pouvez déjà facilement être différent. En commençant par ne pas regarder les modes en cours sur les réseaux sociaux et en diversifiant vos sources d’information et d'éducation pour ne pas avoir les mêmes que tout le monde. Avez vous déjà lu un vrai beau livre photo? Un qu’il faut acheter et dont le savoir se mérite. Avez vous déjà étudié le travail d’un photographe qui au premier abord ne vous inspire pas particulièrement? Vous pourriez bien y trouver une petite pièce de puzzle qui influencera durablement votre façon de voir le monde, ou plus modestement votre façon de travailler. Avez-vous déjà contacté un photographe dont le travail vous plait pour engager une discussion avec lui? Vous seriez surpris de la disponibilité même des plus grands. Et le simple fait d’avoir des sources d’informations différentes de la masse des autres photographes suffira à vous en différencier.

Vous pouvez enfin cultiver votre différence en vous appuyant sur votre propre vie. Il n’est pas utile d’avoir une vie incroyable faite de voyages et de vols en hélicoptère pour faire un travail remarquable et parler de choses intéressantes. Vos photos, de la même manière qu’elles n’ont pas à obéir à des règles trop rigides, doivent résulter de vos expériences et exprimer votre vision des choses, quitte à froisser du monde, quitte à ne pas correspondre à l’opinion de la majorité. C’est ça, un point de vue, et c’est éminemment personnel.

Vous n’avez pas à souffrir du syndrome de l’imposteur, parce que vous n'avez pas à être un imposteur. Si vous aimez vraiment faire de la photo, pour la joie de créer une image plutôt que pour la reconnaissance qu’elle pourrait vous apporter, vous ne pouvez pas être un imposteur. Vous n’avez qu’à être vous-même, parler de ce qui vous inspire, faire comme vous le sentez, exprimer ce que vous souhaitez exprimer. Impossible d’être un imposteur quand on ne cherche qu’à être soi-même…

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Weegee : “ Their First Murder " , 1941