Nadav Kander : Chongqing IV _ Sunday Picnic

 
 

Cette photo de Nadav Kander qui a gagné le prix Pictet Earth, m’a profondément émue, tant par sa beauté que par son sujet. 

Les couleurs y sont d’une douceur et d’une poésie subtile, toute en nuance. La composition est magistrale. L’image semble coupée en deux par une grande colonne au pied de laquelle à droite, est installée pour un pique-nique une famille paisible qui semble minuscule dans une architecture aux proportions titanesques. En face, sur le fleuve, on découvre la présence d’un pêcheur sur sa modeste barque, qui observe la scène, tel un témoin d’une autre époque. Au-delà de la famille, le rythme des colonnes amorce une perspective comme une mise en abîme. En la suivant, le regard revient vers le côté gauche de l’image, derrière le pêcheur, et là se dessine dans le brouillard, un autre pont plus récent que celui sous lequel se situe la scène. 

Ce qu’il y a de remarquable dans cette photographie, c’est la façon dont elle témoigne du rapport de l’homme à son environnement. Elle nous parle du contraste entre un héritage culturel, qui se manifeste paisiblement avec l’homme assis dans sa barque traditionnelle, et le futur toujours en construction, d’un pont à un autre, toujours plus moderne. On voit bien que les berges du Yang Tse ont pris à cet endroit, des airs de terrain vague, comme un espace en devenir, suspendu entre le passé et l’avenir. C’est à mon sens, ce que semble illustrer ce pont aux colonnes bleues filant vers celui, plus contemporain, qui se profile à l’horizon.

Nadav Kander raconte en une image la place laissée à l’homme, secondaire, face au progrès et ses constructions. Il montre une course à la croissance qui ne s’encombre pas de considérations quant à l’humain et la nature dans laquelle il vit, à savoir un milieu naturel détérioré par l’homme et contre l’homme. Le paradoxe du progrès, où l’homme devrait vivre en harmonie sur ses terres, préserver son eau, et où, si tant est qu’il doive construire, ce serait alors pour améliorer son bien-être. Mais là, plus rien de cela ne compte, l’environnement est sacrifié, autant que les êtres qui y vivent et qui en vivent. Pourtant et malgré cela, cette photographie laisse entrevoir une forme d’espoir, elle parle de résistance autant que d’adaptation, comme une force vitale qui ne s’éteint pas et tente de conserver un équilibre pourtant bien fragile, figuré ici par les personnages de la scène.

Le pêcheur sur sa barque devient le symbole immuable d’une Chine multiséculaire qui ne saurait disparaître. Il personnifie un mode de vie hérité de ses ancêtres et observe paisiblement le monde moderne, incarné par cette famille installée sur la rive du fleuve. Famille qui, quant à elle, s’approprie la modernisation et son architecture envahissante, en s’accordant le bonheur simple d’un pique-nique autour d’une table recouverte d’une nappe de dentelle.

Cette photo pourrait avoir quelque chose de rude dans ce qu’elle évoque des outrages de la pollution, de la course à la modernisation. Elle demeure pourtant une image d’une délicatesse inattendue en prenant les traits d’un paisible pêcheur et d’une famille souriante, réunie pour partager le plaisir de manger ensemble au bord de l’eau.

L’intelligence et la force de Nadav Kander avec cette photographie est d’avoir su illustrer un péril environnemental sans pour autant stigmatiser les personnages présents sur l’image, qui certes y participent à leur échelle mais en subissent aussi les dévastations. Car après tout cette famille n’est peut-être pas culturellement sensibilisée comme nous le sommes à l’écologie. Et il serait trop aisé de vouloir dénoncer seulement quelques individus pour des déchets laissés après un pique-nique, sans au préalable s’interroger sur les  politiques industrielles du monde dans lequel nous vivons autant que sur nos habitudes consuméristes.


 
 
 
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